L'icone appartient a l'Orthodoxie. Elle n'est que l'hôte de l'Occident. Pourtant, elle est née dans l'Eglise encore indivise et le catholicisme ne conteste pas sa vénération. Mais une ancienne tradition de l'icone -et le culte qui lui est lié- ne s'est maintenue (d'une manière assez limitée) qu'en Italie, car celle-ci a gardé, à travers les siècles, un lien plus solide aussi bien avec les premiers temps du christianisme qu'avec Byzance. Cependant, même dans ce pays, la tradition de l'icone est restée secandaire.
Aujourd'hui, dans les eglises catholiques de tïéét l'Occident, il n'est pas rare de trouver des icones isolées, de facture dite italo-grecque, ïu des reproductions de ces icones; la plupart représentent la Mère de Dieu et jouissent de l'attention des fidèles. Mais elles n'ont fait leur apparition qu'il y a peu, en vertu d'un besoin qui ne se manifestait pas auparavant et dont il serait intéressant d'éclairer l'origine.
L'art religieux de l'Occident, même dans ses créations les plus proches de l'icone, comme le tableau d'autel italien ïu l'Andachtsbild -l'image de dévotion- des pays transalpins-, oeuvres contemporaines de l'essor de l'icone en Russie -, ne devient pas cependant un art d'icone; il se présente sous une forme artistique différente et sa signification religieuse est également différente.
L'icone n'a trouvé ses racines et ne s'est pleinement affirmée que dans le christianisme oriental, plus précisément grec. Ge qui, d'évidence, ne veut pas dire qu'elle n'ait de sens que dans ses frontières.
La signification générale, humaine et chrétienne, de l'icone est de révéler, avec la clarté la plus grande, la veritable nature de l'art figuratif religieux et même de toute figuration en général.
L'idée même de l'icone est déterminée par sa vénération par l'Eglise, et cette vénération se fonde sur deux caractères étroitement liés attribués à la représentation ïu figuration telle que l'icone la réalise: la ressemblance et l'identité (comprise ici comme tendance à une unité de présence) entre l'icone et ce qu'elle représente. Un examen attentif du contenu de ces conceptions nous permettra de mieux comprendre, nïn seulement l'icone, mais toutes les autres représentations, même celles qui s'en trouvent le plus éloigné.
Commençons par la ressemblance. Ence qui concerne les icones, de quelle ressemblance s'agit-il? Sinous consultons les auteurs qui ont traité ce problème, en commençant par la période qui précède l'iconoclasme nous découvrons qu'il est presque toujours question chez eux de la ressemblance la plus stricte, d'une correspondance exacte entre l'image et ce qu'elle représente, correspondance nïn pas intérieure mais extérieure, donc d'une ressemblance au sens le plus ordinaire du mot. La tradition iconographique, pieusement conservée de siècle en siècle, se fonde sur cette ressemblance; et s'il est inadmissible de s'ecarter de cette tradition, c'est que ce serait s'écarter de la ressemblance. Celle-ci fut garantie par les légendes sur les icones- portraits, celles qui, par exemple, auraient été peintes par l'évangéliste saint Luc, et sur les icones miraculeuses du Christ, de la Mère de Dieu et de quelques saints, qui n'auraient pas été peintes «de main d'hom- me»... Le patriarche de Jérusalem Dosithée affirmait en 1672 que les icones «ressemblantes» n'ont pas besoin d'être consacrées (consécration, du reste, introduite tardivement: le 7e Concile œcumenique l'ignorait encore).
Pourtant, il suffit de se rappeler les icones elles-mêmes ïu de jeter un cïup d'oeil dans les manuels des iconographes pour se convaincre qu'il ne s'agit pas de ressemblance comme nous la comprenons ïu comme ïn la comprenait à l'époque hellénico-romaine. Ïn ne peut rien découvrir qui ressemble à une copie d'après nature dans l'icone la plus parfaite. L'icone miraculeuse du Sauveur (transportée de la Cathédrale de l'Assomption à la Galerie Trètiakov) ïu la Vierge de Vladimir, ne sauraient donner l'idée d'un modèle vivant reproduit par un artiste. Et néanmoins ce sont ces icones-là qui font apparaître de la manière la plus pure et la plus évidente une autre ressemblance: celle de l'image avec l'original que contemple l'Eglise.
Mais comment une ressemblance est-elle possible avec une realite invisible que l'ïn ne peut contempler -personnellement ïu dans l'assemblée de l'Eglise- que par les yeux de l'esprit? Ïu bien: que signifie cette ressemblance? Un contemporain de saint Augustin, Paulin, évêque de Nole, ecrivait à un ami qui lui avait demandé son portrait: «De qui veux-tu que je t'envoie l'image, de l'homme terrestre ïu de l'homme céleste? » entendant par là que cette seconde image ne pouvait tout simplement pas être envoyée. Ïn aurait pu rétorquer qu'un bon portrait donne, nïn seulement l'image physique, mais aussi l'image spirituelle d'un homme, s'il ne s'était agi ici de toute autre chose: de l'image, appelée «céleste» à juste titre, puisqu'elle remplace entièrement l'image terrestre, et se réfère au corps spirituel qui ne surgira qu'après la dissolution de la chair. L'art de ce temps n'avait pas encore atteint la spiritualisation indispensable pour realiser des oeuvres figuratives correspondant a des notions de cet ordre, mais surtout; il apparaissait déjà clairement que de telles œuvres devaient être nïn des portraits, mais des icones. Et c'est précisément selon la vision de l'icone -qui englobait aussi la fresque et la mosaïque et même l'architecture religieuse-, c'est précisément selon cette vision que se forma plus tard le style byzantin, tout entier style d'icone et qui, dans ses plus beaux jours, n'a cherché de ressemblance qu'avec l'invisible, le spirituel, accessible seulement aux yeux de l'esprit.
Ce moment n'arriva qu'au début du second millénaire, après un long travail préparatoire de purification du terrestre et du charnel, après un rejet progressif de l'héritage artistique de l'Antiquité. A l'époque des querelles iconoclastes, lorsque l'Eglise précisa sa doctrine de l'icone, ce travail n'était nullement terminé... C'est pourquoi la reponse que le 7e Concile œcuménique donna aux iconoclastes ne pouvait être et ne fut pas complète; cette lacune fut comblée nïn dans les œuvres théologiques de la période suivante, mais par les icones elles-mêmes et, plus largement, par l'épanouissement de l'art sacré à Byzance. C'est ainsi que la question de la ressemblance, autrement dit de la nature même de l'icone, fut résolue, sinon en principe, du moins en fait.
Les iconoclastes affirmaient qu'une icone du Christ est impossible ïu impie, parce que les deux natures du Sauveur sont à la fois inconfusibles et inséparables. Ïn ne peut représenter la nature divine: représenter seulement la nature humaine signifierait que l'ïn nie, avec les Nestoriens, le caractère indivisible des deux natures; ce serait en outre faire passer une image humaine pour celle du Dieu-Homme. Quant à représenter l'humanité du Christ en considérant qu'ïn représente par là-même sa divinité, ce serait tomber dans le monophysisme qui nie la distraction des deux natures. Les défenseurs de l'icone rappelaient que Dieu s'est fait homme, ce qui permet de le représenter; mais, si l'ïn s'en rapporte à leurs arguments, de le représenter dans sa seule nature humaine: ce qui correspond plus ïu moins aux images du Sauveur dans l'art paléochrétien et préiconoclaste,